Jusqu'où faut-il soutenir et aider, jusqu'où faut-il s'arrêter ? Délicate question que de définir cette frontière ténue entre tous les soins et le support que nous pouvons apporter à un malade et le moment où il faut laisser faire les choses.
Deux ans. Cela fait deux ans que l'épilepsie de mon fiston est stabilisée[1]. Après quatre années pendant lesquelles les crises se sont enchainées plus ou moins régulièrement. Ce qui veut dire que depuis l'age de 2 ans il prend consciencieusement ses médicaments tous les soirs de l'année, sans en manquer un seul sous peine de voir revenir ce qui fout par terre, qui annule d'un coup les espoirs d'un éloignement de la maladie, voire d'une guérison.
Six ans. Cela fait six ans qu'il en supporte les effets, la fatigue, la difficulté de se concentrer.
Huit ans. C'est l'âge qu'il a. Cela veut dire qu'il a vécu avec cette maladie pendant les trois quarts de sa jeune existence. C'est long et ça prend de la place. Bien sûr nous sommes là, présents. Nous lui apportons tout l'amour et le soutien dont il a besoin. D'autres aussi apportent leurs aides, orthophoniste pendant un temps puis une psycho-motricienne. Mais à la longue cela devient plus envahissant encore. Cela devient toute sa vie, rien que sa vie et c'est trop.
Il nous a fallu du temps pour parvenir à ce constat car on ne sait pas évaluer objectivement ce que toutes ces aides ont apporté. Fallait-il le faire ou pas ? Pouvions-nous ne rien faire ? Était-ce conforme à ce que nous pensions être notre rôle de parents ? C'est extrêmement difficile à dire. Lui de son côté commence à saturer. Enchainer l'école, les devoirs à la maison pour qu'il ne perde pas pied vis-à-vis du reste de sa classe, le soutien externe. Ca ne laisse pas beaucoup de temps pour vivre une vie de garçon.
Nous nous posions beaucoup de questions à propos de ses capacités, diminuées qu'elles étaient par le traitement ou par la maladie. Et puis nous avons décidé de lui faire faire un bilan psycho-métrique qui a montré sans équivoque qu'il était capable, lent mais capable, avec des difficultés de concentration mais capable. Capable comme ses camarades de classe. Nous avions eu raison de vouloir l'intégrer dans une classe normale, quitte à passer beaucoup de temps pour l'aider à suivre, quitte à vaincre les préjugés, à convaincre qu'il fallait le traiter — autant que faire se peut — comme les autres. Bien sûr il faut tenir compte de sa lenteur mais il n'y a aucune raison de ne pas l'instruire comme tout le monde. Il ne faut pas le mettre à l'écart sous prétexte qu'il se dit fatigué — car il en joue parfois — ce qui a été souvent le cas jusqu'au début de l'année.
Cette maladie qui prend trop de place est une contrainte. Il doit apprendre, nous devons apprendre, à n'en faire qu'une contrainte comme une autre, un aléas de la vie, mais qui n'empêche pas, qui n'empêche rien. Je crois que nous avions oublié l'essentiel. Il peut, il faut, il va vivre et grandir, avec ou sans.
Et puis aussi … je l'aime.
Notes
[1] Stabilisée veut dire qu'il ne fait plus de crises et que les médicaments qu'il prend en empêchent la venue. Cela peut aussi vouloir dire qu'il est guéri.
1 De Lo -
j'aime toujours autant ta poésie.
2 De Franck -
Merci Lo.
3 De TiBen -
moi, j'aime toujours autant constater combien le rôle de parent permet d'être épanoui.
bonne vie à ton fiston et à ses courageux parents (pléonasme?)
4 De gilda -
"Jusqu'où faut-il soutenir et aider, jusqu'où faut-il s'arrêter ? Délicate question que de définir cette frontière ténue entre tous les soins et le support que nous pouvons apporter à un malade et le moment où il faut laisser faire les choses." : depuis un an 1/2 pas un jour sans qu'en des termes voisins (la malade étant quasiment d'un âge adulte) je me pose la question. Il ne s'agit pas d'épilepsie mais d'une maladie qui fonctionne par poussées, cet espoir à chaque fois quand elles s'espacent, quand ça semble reprendre le bon chemin, et puis toujours le mal qui revient et notre relative impuissance à soulager quoi que ce soit. Et moi-même si perdue dans ma vie et du contrecoup incapable d'aider comme il le faudrait.
Ton billet pose les bonnes questions. Bon courage à ton fiston, les temps ne sont pas favorable à qui n'est pas taillé pour la compétition.
5 De Franck -
Bon courage à toi gilda parce qu'il en faut du courage pour aider de manière juste.
6 De Spica -
Très beau billet...
7 De fred -
J'ai vécu sensiblement la même chose durant 4 ans. Ma mère est atteint de la maladie de Crohne. Une maladie des intestins très dure et très douloureuse. Elle a perdu 1/3 du gros intestin et 2/3 de l'intestin grêle. Elle a perdu 43 kilos, souffre encore beaucoup, et mes frères l'aident tant qu'ils peuvent, ainsi que mon père. Courage à toi, et à ta petite famille.
fred
8 De Franck -
Merci fred et je te retourne l'encouragement. D'ailleurs je me demande si il existe quelqu'un qui n'a pas été confronté à cela un jour ou l'autre.
9 De Akynou -
Ton billet me touche à un point que tu ne saurais imaginer. Mais moi, je n'arrive pas à en parler. Sauf la conclusion qui bien sur est la même :-)
10 De Otir -
Questions justes et beau billet, merci Franck.
11 De Douja -
Et puis avec l'amour de ses parents... le courage est là pour tous les jours. Plein de bonnes choses et pensées pour vous trois.
12 De Didier -
Moi aussi , je crois qu’il faut vivre avant tout, vivre aussi le jour présent et non seulement pour un avenir meilleur. Chaque minute ne se représentera plus. Ton fiston doit autant vivre sa vie et que l’espérer. Une bande dessiné « Hôpital » de Ted Benoit (Les Humanoïdes Associés) relate un peu votre choix : un homme entre pour une maladie à l’hôpital, mais il n’y trouve pas les réponses , à la fin il se dit « guéri » et décide de sortir de ce cercle sans fin, de vivre tout simplement. Bises à ton fiston. Bises aux parents.
13 De gilda -
Fred, c'est précisément cette maladie dont souffre ma fille (et aussi son père). Quand on sait que la mise en place d'une franchise de frais médicaux faisait partie du programme du candidat élu, il y a de quoi avoir peur. Bientôt qui ne sera pas d'un certain niveau social n'aura plus accès aux soins ou seulement partiellement (déjà que c'était un peu le cas au moins pour les problèmes non-urgents - qui n'a pas repoussé à plus tard des soins dentaires coûteux ?, reporté aux mois suivants un achat de lunettes ? -).
Bon courage à elle et aux tiens en tout cas.
14 De cleanettte -
Délicate question que beaucoup de personne côtoyant un "malade" ont du se poser. Difficile de trouver le juste milieu entre aider, soutenir, cajoler et pousser ou contraindre à un peu plus d'effort. Ce sont des ajustements qui influent sur toute la vie de famille.